
De la pellicule au cloud : comment gérer nos photos à l’ère du numérique
Pourquoi est-ce devenu si difficile de gérer nos photos ?
Quand je rends visite à mes parents, j’ai toujours beaucoup de plaisir à me replonger dans les albums photo : nous revoir petites filles, les vêtements que nous portions, nos coiffures improbables, nos jeux d’enfants, nos vacances à la mer ou au ski, nos copains d’école… Des pages entières qui racontent notre enfance. Ce Noël, j’ai même eu le plaisir de consulter les albums de ma grand-mère, de voir la jeune femme qu’elle était, de voir ma maman bébé et petite fille. Nous nous sommes tous réunis autour de ces photos, nous avons partagé un bon moment, nous avons beaucoup ri, et pleuré aussi — pleuré sur le temps qui passe… Ces albums ont créé un beau moment de communion.
Au fil du temps, ma mère a cessé de faire des albums. Cela prend du temps, nous étions cinq enfants, il y avait d’autres priorités. Mes parents n’ont pas pour autant cessé de prendre des photos. Ils en prenaient peut-être moins — en grandissant, on devient moins mignon peut-être, ou moins partant — toujours est-il qu’il y avait des photos, mais plus d’albums. Cela s’est fait par étapes. Ma mère a continué d’imprimer des photos, mais sans jamais les ranger dans des albums. Et pour cause : c’est long, fastidieux, et lorsqu’on est seule à s’en charger pour toute la famille, cela ressemble plus à une corvée qu’à un plaisir (pour ma mère tout du moins).
Et puis, avec les évolutions technologiques, mes parents sont passés au numérique et ont maintenant des disques durs remplis de photos… qui ne seront plus jamais regardées.
À l’ère du numérique, qui fait encore des albums ?
Nous avons tous des milliers de photos stockées sur nos téléphones, le cloud, des disques durs. On prend plus de photos que jamais… et pourtant, on les regarde moins. Les albums se font rares, les souvenirs sont noyés dans le flux numérique. Quel intérêt ?
Cet article est né de cette frustration-là : celle de ne pas réussir à faire ce que je m’étais promis. À la naissance de mon fils, je souhaitais raconter son histoire dans des albums photo… Je n’ai pas réussi à en réaliser un seul, et j’ai maintenant cinq ans de retard! Quinze, si je veux vraiment remonter à nos débuts de couple. Trop de photos, trop d’appareils, trop de tout. Comment en est-on arrivés là ? Et surtout, comment sortir la tête de cette avalanche d’images pour retrouver le plaisir simple d’un souvenir ?
La multiplication des sources… et du nombre
Autrefois, il y avait un seul appareil photo familial. Et c’était tout.
Aujourd’hui, nous avons tous un appareil photo dans la poche, en permanence. Smartphones, appareils numériques, tablettes… Les outils se sont multipliés, et leur usage est devenu simple, quasi automatique. Plus besoin de maîtriser la technique : en un clic, tout le monde devient photographe.
Résultat : on prend de plus en plus de photos. Mon fils de 5 ans peut en faire des centaines en une journée ! Et à nos propres clichés s’ajoutent ceux de nos proches : famille élargie, amis, collègues… Les groupes WhatsApp, le cloud, AirDrop facilitent les échanges, mais décuplent les sources. Nous nous retrouvons avec dix versions du même goûter d’anniversaire. Qui a le temps de trier, de choisir, de donner du sens sous cette avalanche ?
Le stockage n’est plus une contrainte : pour quelques euros, on peut conserver des milliers de fichiers ! Alors on mitraille. On prend tout et n’importe quoi en photo, en se disant qu’on fera le tri plus tard (spoiler : on ne le fait jamais). Le moindre repas, un coin de trottoir, une chaussette trouée, un caillou… On capture tout !
La photo a ainsi perdu son sens premier : celui de capturer un instant, une émotion, un souvenir.
Pourquoi ce besoin frénétique de figer chaque moment ? Peut-on lâcher cette obsession de documenter chaque instant de notre vie ? La peur d’avoir « raté » quelque chose ? Êtes-vous encore capable de raconter une histoire ou d’imaginer celle qui vous est contée? Est-il plus important de vivre l’instant ou de regarder, plus tard, 60 photos d’un même moment ?
On critique souvent les gens qui filment un concert ou tout autre événement au lieu de danser, de chanter, de vivre l’instant. Mais prendre des photos en série suit la même logique…
Quand on photographie nos enfants en rafale, par exemple, où est la relation ?
Pour entrer en lien, un enfant a besoin de voir votre visage, de vous sentir présent. L’appareil crée une distance.
Parfois, la photo que l’on souhaite partager à tout prix prend plus d’importance que l’instant lui-même.
Nous demandons à nos enfants de ne pas bouger le temps de la photo, ou de reproduire ce qu’ils venaient de faire pour pouvoir le capturer. On met en scène un instant passé, puis on leur demande d’attendre le temps d’envoyer la photo à Mamie… Et l’instant est passé, et vous ne l’avez pas vécu.
Pourquoi faire un album photo ?
Avant de vous lancer, prenez un moment pour vous interroger : pourquoi souhaitez-vous créer un album photo ?
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Un moment de partage : Feuilleter un album en couple, en famille ou entre amis pour créer un moment de connexion?
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Sauvegarder la mémoire collective : Préserver des souvenirs qui pourraient s’effacer avec le temps. Ils nourrissent les histoires que l’on se transmet.
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Transmettre : Un album, c’est aussi un acte de transmission pour vos enfants, vos petits-enfants.
Créer un album devrait rester une source de plaisir, pas une charge mentale supplémentaire. C’est un activité chronophage, le plaisir prime sur le résultat.
Il ne s’agit pas d’atteindre la perfection ou de tout documenter, mais de préserver ce qui a du sens pour vous. De choisir quelques instants précieux, et de leur donner un écrin.
Il est essentiel de retrouver le plaisir, à chaque étape :
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Le plaisir de trier, de revivre les souvenirs.
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Le plaisir de créer, de raconter votre histoire.
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Le plaisir de le feuilleter.
Maintenant que vous avez identifié vos motivations, passons au concret : Gérer le flux, trier et réaliser nos albums.
Première étape : réduire la source et le nombre
Limiter les prises de vue
Il serait intéressant à ce stade de vous questionner sur les moments que vous souhaitez voir apparaître dans vos albums.
Les réunions de famille, les anniversaires, les voyages, les sorties, le quotidien… Des visages, des paysages : que souhaitez-vous vraiment conserver ?
Quand vous feuilletez un album photo, qu’aimez-vous y retrouver, et en quelle proportion ?
Personnellement, j’aime les photos d’anniversaire, les matins de Noël, voir mon enfant découvrir de nouvelles choses, les moments de joie et de partage en somme.
Je n’éprouve aucun plaisir à revoir des dizaines de paysages, par exemple.
Ne cherchez pas à récupérer toutes les photos de tous les participants à un événement.
Avons-nous vraiment envie d’uniformiser nos souvenirs, comme nous le faisons avec nos intérieurs ou nos vêtements, jusqu’à partager les mêmes albums ?
Acceptez de ne pas tout avoir. Rappelez vous qu’un événement existe aussi et surtout par les récits qu’on en fait, la photo c’est un peu la cerise sur le gâteau.
Centraliser toutes vos photos
Évitez de courir après les photos dispersées entre les téléphones et les clouds des membres de la famille.
Ma sœur, par exemple, a investi dans un bon appareil photo : ils ne prennent plus de photos avec leurs téléphones, uniquement avec l’appareil. C’est un vrai choix de simplicité.
Une autre option est de connecter tous les téléphones à un espace de stockage commun (Google Photos, iCloud, NAS…).
Deuxième étape : le tri
Vous allé passer d’un espace de stockage virtuellement infini à un support physique ou édité (album, livre photo) qui a une capacité limitée, vous ne pouvez pas faire l’impasse sur le tri. C’est comme si vous deviez déménager, d’une maison de 400 m² à un appartement de 50 m².
Se donner des rendez-vous réguliers
Deux options s’offrent à vous :
➔ Option 1 : Un rendez-vous mensuel pour trier les photos du mois, les imprimer, puis avancer dans la création de l’album au fur et à mesure.
➔ Option 2 : Un rendez-vous mensuel pour trier et sélectionner les photos du mois, puis un rendez-vous annuel pour imprimer toutes les photos d’un coup et réaliser l’album en une fois. Cela permet de bénéficier de tarifs plus avantageux en imprimant en volume.
Cela peut devenir un rituel de couple ou de famille, un moment agréable à partager pour revivre les bons souvenirs ensemble.
Astuce : triez vos photos par série ou par moment, pas une par une. Cela vous aide à comparer rapidement et à aller plus vite.
Établir des critères de sélection
Fixez un nombre maximum de photos à sélectionner chaque mois.
Par exemple, je choisis 20 photos par mois, car je réalise un seul album par an.
Certains livres photos peuvent contenir jusqu’à 300 pages, avec 4 à 5 photos par page, soit environ 1500 photos… mais demandons-nous :
Aurez-vous vraiment envie vous plonger dans un album de 300 pages ?
Irez-vous au bout ? Le consulterez-vous vraiment ?
Trop long, trop lourd, trop encombrant.
Affinez votre sélection avec quelques questions simples :
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Critère émotionnel : qu’est-ce que je ressens en la regardant ?
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Critère esthétique : est-ce que je la trouve belle ?
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Critère narratif : est-ce qu’elle raconte un moment important ? Est-ce que cette photo me raconte quelque chose que les autres ne montrent pas déjà ?
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Critère technique : est-elle floue ? Sur/sous-exposée ? Y a-t-il un doigt sur l’objectif ?
Petite aparté : une photo floue mais drôle, un enfant qui tire la langue, couvert de yaourt, un visage naturel et sans fard sont les témoins sincères de votre vie. Beaucoup souhaitent réaliser des albums vitrines, des mises en scène de leur vie où tout le monde sourit tout le temps. Parfois même, certains font le choix de s’effacer (j’ai longtemps été très complexée par mon corps et ai hésité à intégrer des photos de moi dans les albums, quelle drôle d’idée…). Ce qui m’a fait changer d’avis, c’est le regard de mon enfant : peu importe mes complexes, dans les souvenirs qu’il crée, le corps que je suis est celui de sa maman d’amour. Me rendre visible dans les albums, c’est faire honneur aux souvenirs d’enfance de mon garçon.
Utiliser des outils pour gagner du temps
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Apps de tri automatique : certaines applications permettent de détecter les photos floues, les doublons ou les séries quasi identiques.
Exemples : Slidebox, Gemini Photos, Photo Culling… -
Logiciel de classement intelligent : comme PhotoPrism, qui permet de trier automatiquement vos photos par lieu, visage, date ou type d’événement.
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Stockage et partage optimisé : Google Photos, iCloud, ou un NAS familial pour centraliser sans tout perdre si vous changez de téléphone.
Supprimer
Ne négligez pas la phase de suppression : elle fait pleinement partie de l’étape du tri.
Supprimer des photos peut être difficile, mais c’est nécessaire.
Vous pouvez, si cela vous rassure, choisir de stocker uniquement les photos sélectionnées pour votre album, « au cas où ».
Mais je vous encourage vraiment à supprimer toutes les autres.
Pourquoi ?
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Parce que stocker a un coût :
➔ Plus vous conservez de photos, plus vous aurez besoin d’espace de stockage payant (cloud ou album) -
Parce que si vous perdez vos albums, vous seriez obligé de refaire tout le tri, et ce serait encore plus long et fastidieux.
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Parce que stocker consomme des ressources :
➔ Que ce soit dans le cloud ou sur disque dur, conserver des milliers de fichiers est polluant (serveurs énergivores, matériaux non recyclables). -
Parce qu’une surcharge numérique est une surcharge mentale invisible :
➔ Un trop-plein d’images pèse inconsciemment sur votre esprit, même si vous ne les regardez jamais. -
Parce que vos photos précieuses se retrouvent noyées sous des centaines de clichés sans intérêt :
➔ Résultat, vous perdez le plaisir de les retrouver, de les consulter et de les partager. En supprimant régulièrement, vous offrez une vraie valeur aux souvenirs que vous choisissez de conserver. - Parce que faciliter la sauvegarde est essentiel :
➔ Moins de données à protéger, à transférer ou à récupérer en cas de problème.
En supprimant les photos inutiles, vous allégez vos sauvegardes. En cas de perte, de panne ou de changement d’appareil, vos souvenirs précieux seront plus simples et rapides à restaurer. Moins de données, c’est moins de stress et plus d’efficacité.
Gérer le retard accumulé
Gérer le retard
Vous avez accumulé du retard ? Gérer des mois, voire des années de photos demande du temps, soyez en conscient.
➡️ Astuce n°1 : avancez petit à petit.
Consacrez 20 minutes par jour à la gestion de vos photos, pendant une semaine. Recommencez autant de fois que nécessaire.
Important : faites des pauses, la plaisir de retrouver ces souvenirs prime sur le résultat.
➡️ Astuce n°2 : planifiez.
Réservez deux heures fixes par semaine dans votre agenda. Le fait d’avoir un créneau dédié vous aidera à avancer sans vous épuiser.
➡️ Astuce n°3 : combinez avec votre tri mensuel.
Chaque mois, en plus de trier les nouvelles photos, traitez un ou deux mois de votre stock en retard. Procédez à reculons : si vous commencez en avril 2025, triez en avril les photos d’avril et de mars 2025, etc.
Quelques rappels utiles :
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Les albums ont un coût : impressions, supports… Plus vous avez de retard, plus le budget grimpe. Anticipez !
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Imprimé ou numérique ? Vous n’êtes pas obligé d’imprimer tous vos albums. Il existe des cadres photos numériques. Vous pouvez aussi réaliser des diaporamas avec vos photos.
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Priorisez le plaisir : ne faites pas de cet objectif une corvée. Votre but est de revivre vos souvenirs, pas de vous épuiser.
Créer des albums vivants et personnels
Ne vous limitez pas aux photos ! Un album peut devenir une œuvre créative et intime.
Ajoutez :
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Les citations de vos enfants.
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Des dessins, des tickets de cinéma, des cartes postales.
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Des textes personnels, des recettes, des histoires.
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Des petits mots, des dates, des anecdotes.
Redonner du sens
Il n’y a aucune obligation à réaliser un album : vos souvenirs peuvent très bien rester sur votre cloud si c’est ce qui vous convient.
Peut-être faites-vous partie de ceux qui prennent des photos pour partager un instant, puis les oublient aussitôt.
Et pourquoi pas ? Il n’y a rien de mal à cela.
Mais dans ce cas, pourquoi s’encombrer de milliers de fichiers ? Pourquoi laisser s’accumuler ces données sans valeur pour vous ?
Votre cloud n’est pas une poubelle.
Chaque photo stockée a un coût : pour votre esprit, pour l’environnement.
Accepter de trier, c’est aussi accepter que tout n’a pas besoin d’être conservé pour exister.
C’est faire de la place pour ce qui compte vraiment.
C’est faire confiance à votre mémoire.
Créer un album, ou simplement trier ses photos est un petit acte militant face à cette ère de surconsommation, un appel à ralentir, à revenir à l’essentiel.
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